samedi 14 décembre 2013

Paranthromyces

Les puissances méridionales comptent parmi elles une hernie morcelée peuplée des choses les plus étranges qu'on puisse trouver dans la faune dite supérieure. Pour aller plus avant en ce sens, il eût fallu qu'il naisse des fougères paranthropes, des amibes savantes, des germes ingénieurs. Il s'agit d'un jeu de Paranthromyces qu'on préfère appeler, vulgairement, les Champignons - la majuscule est de rigueur, sans quoi ils pourraient se vexer - et bien que tout ait été fait, par hasard ou à dessein, pour qu'ils trouvent en ce monde la place qui leur revient, il demeure qu'il est très difficile de communiquer avec eux. Mais j'y reviendrai.

La cité est d'une conception proche de la nôtre, mais subtilement différente. Les rues sont réduites ou absentes, ailleurs remplacées par des traboules et de vastes halls communs. On trouve également un grand nombre de cours ouvertes qui sont parfois aménagées en jardins. Le Grand Leute (ou Löt suivant les transcriptions) siège dans un palais qui n'est pas distinctement séparé de la ville qui l'entoure, à savoir Tsin-l'Ouverte ou Tsin-Mnom. C'est un peu à l'image de son occupant, une masse diffuse et dentelée dont on ignore où elle commence et où elle finit, où elle est maintenant et où elle fut la veille. Ses marches se confondent avec les bâtiments adjacents; le vent court également dans ses couloirs et dans ceux des voisins.

Les individus que j'ai croisés dans les halls m'ont paru relativement loin des descriptions que j'ai pu avoir dans la littérature, mais là je ne les avais jamais eus qu'en modèle éclaté. Figurez-vous un carpophore d'un mètre de haut et plus, d'où s'échappent de nombreux filaments fuligineux, et qui rampe à l'aide des plus robustes de ces bras, souples et coriaces. Il y en a un grand nombre qui prennent naissance sous la chose, et deux ou trois sous son chapeau - m'a-t-on dit, on en compte fondamentalement trois mais l'un d'entre eux régresse avec l'âge.


Voilà donc une occasion d'évoquer rapidement leur biologie et leur histoire, avant de rapporter quelques évènements qui me paraissent d'un intérêt respectable.

Les Paranthromyces auraient vu le jour comme les Crabouliques extrayaient l'ergath dans les montagnes de Vératie, la plus grande île de l'archipel. L'ergath désigne les matières fissiles diverses qu'on pouvait isoler du minerai afin de fabriquer des armes, et les mines en étaient si riches que les scories et les poussières étaient saturées de substances toxiques. Or donc, dans les vallées en contrebas, on cultivait des champignons géants et coriaces qui, longuement bouillis, constituaient un aliment complet et bon marché. Nul doute qu'ils en souffrirent beaucoup, car de par leur mode de vie, ils concentrent facilement les éléments du sol.
Alors les têtes pensantes du laboratoire de biologie se chargèrent de former des champignons modifiés propres à supporter cette contrainte.
Mais, par hasard ou à dessein encore, un léger dérapage donna lieu par écho à des développements considérables dans un sens qui n'était absolument pas prévu. En quelques années de recherche souterraine, on vit émerger des enclos d'étranges choses qui s'avérèrent être pensantes.

Première génération de Paranthromyces (Movagarici I).

Seconde génération de Paranthromyces (Movagarici II).

Paranthromyces actuels (Movagarici III). VII: P. volubilis; VIII: P. teletrichum; IX: P. sphaerophora; X: P. ergata; XI: P. paranthromyces.


Toutes ces espèces sont proches et interfécondes, et de fait, représentent les races d'une même espèce. Toutefois, la nomenclature ancienne domine et ils font ce qu'ils peuvent pour que cet état perdure: en effet ils refusent d'être considérés comme un tout, cela en dépit de leur remarquable intelligence collective, dûe aux télétriches, et qui sollicite régulièrement la totalité de la population.

Les télétriches sont des poils rigides, creux et relativement fragiles qui réceptionnent les ondes biologiques émises par un organe situé à leur base. Le Champignon en prend grand soin, car leur renouvellement est relativement lent (un poil cassé sera remplacé par un poil fonctionnel en une vingtaine de jours au minimum).

Les télétriches réceptionnent correctement dans une gamme de pressions, d'hygrométries et de températures assez restreinte: idéalement 15 à 25°C, par un temps pas trop clair pour éviter l'interférence avec le rayonnement solaire, et dans une atmosphère assez sèche. En conditions optimales, la matière du télétriche est parfaitement arrangée et les individus conversent à plusieurs kilomètres: par relais, la totalité d'un territoire peut être couverte aisément. 
Le reste du temps par contre, ce système présente peu d'intérêt et les choses usent d'une oralité assez particulière consistant en de subtiles vibrations d'une membrane coriace entourant le chapeau. Un Champignon médiocrement exercé peut ainsi imiter la voix humaine d'une manière assez convaincante, encore que sous une forme bourdonnante relativement pénible à entendre.


Parlons maintenant de la reproduction, qui n'a pas d'équivalent dans la faune supérieure (mais les Champignons font-ils seulement partie de la faune, là est la question!).

L'individu pressé emploiera la multiplication clonale, plus simplement appelée bourgeonnement. Le Champignon édifie un thalle annexe qui prend peu à peu forme et acquiert son indépendance vers six semaines, après quoi il lyse les filaments qui le lient à son clone, lequel se développe alors librement.



La reproduction sexuée est un peu plus complexe.
Deux types compatibles sexuellement (quatre types sexuels existent) se rencontrent et différencient des filaments sexuels, prenant naissance en général sous le chapeau. Ils rassemblent alors un tas de nourriture fermentée dans lequel ces filaments se rencontrent. Ceux-ci édifient ensemble une structure appelée prothallium qui acquiert rapidement son indépendance (dix jours de croissance environ). On parle improprement d'"accouplement"; il est vrai que l'idée d'un acte sexuel si prolongé suffit à émoustiller les esprits faibles ou tordus.
Trois à quatre mois durant, le prothallium, régulièrement nourri par les parents, va prendre une forme de coupe dans laquelle vont se développer un à six enfants (plusieurs milliers d'embryons sont formés à l'origine, mais la plupart avortent). Puis le prothallium finit par se décomposer en un humus nourricier que finissent d'absorber les jeunes thalles. Ils prennent alors leur indépendance, toujours choyés par leurs géniteurs toutefois.


Un peu long, non? Ma rencontre avec le Grand Leute vous sera rapportée prochainement.

Cordialement vôtre, 
Xavier Plorc

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