mercredi 3 juillet 2013

Mes titres infamants: un Pavé d'Introduction

Je ne sais rien que la savante flânerie; je paresse intelligemment, les yeux ouverts fixant le vide -quand ce n'est pas quelque bêtise rampante. Je bouge parfois, mais je ne m'amène pas où l'on me destine. Je me traîne dans l'herbe, le regard rivé au sol y découvre d'infimes merveilles. Enfin je pense éperdument, cela me satisfait mais je n'arrive clairement à rien.
Heureux de cette vie, couvert et aimé, je vis séparément un jour après l'autre en espérant en rester toujours là. J'espère, mais tout ça est vain. Ma position est bancale.

J'ai vu venir d'année en année un destin lourd et inéluctable. C'est atroce, mes aïeux que je maudis!
Je dois être empereur. Digne fils de son altesse Ophide le Simple, Empereur du Fondor, protecteur de Crochie, de Pouvik, de Braiz et d'Évrose, on me destine à un monde qui ne m'apportera que des perversions.
Je me sens devenir superbe, je me sens même devenir fort. J'irai contre eux , quoiqu'il advienne: car je ne me destine pas à leurs circonvolutions. Je préfère de loin les plantes aux hommes: elles au moins, à force d'étude, on peut les comprendre; de même les bestioles diverses qui me retiennent au sol dans une posture ingrate. Je suis naturaliste.
Je partirai pour le Sud, envers et contre tous, je me plierai sous un soleil de plomb, et verrai tant de merveilles.


[Permettez-moi un encart historique, car je crois que Xavier est sur le point de s'embrouiller en contant quelque chose d'assez complexe. C'est dans ses habitudes.]

Fin août 1904 F.C., le seigneur Leich Dril, gardien des coffres -disons dépositaire du Trésor Impérial- devenu aigri et paranoïaque en vieillissant, employait quatre mercenaires crochiens, issus de la mafia, pour qu'ils se substituent aux gardes du corps dont il avait fini par se méfier. Notez qu'il se fit guider dans ce choix par un immigré influant, un certain Barthélemy Smirat, venu des Cocardes dont le régime autoritaire le rebutait.
Quelques jours plus tard, les mercenaires profitèrent de ce que leur employeur avait coupé tout contact avec ses gardes (la méfiance atteignant son comble) pour le mettre à mort à coups de canif. Il résista plus que prévu, et il semble qu'un des agresseurs ait été sévèrement atteint par le coupe-papier dont il se servit pour parer les coups. Mais il mourut en silence, et on ne le découvrit qu'au petit matin, baignant dans son sang.
Le soir même, les mercenaires rejoignaient Smirat à une table isolée de la Taverne de la Gencive, dans les quartiers ouvriers de Librame, pour annoncer leur succès. Les ayant dûment payés, Smirat et ses amis usèrent de leur influence pour entraîner la nomination d'une de leurs connaissances à la place du défunt Dril.
Smirat, et son associé Terebrin, avaient en effet longuement influencé le seigneur Domitien Varaszek, qui terminait une brillante carrière en tant que ministre de la guerre. Et à présent, étant le seul candidat sérieux, il accéda facilement au poste et s'installa avec délices dans son nouveau palais à Librame, d'où le corps de Dril sortait à peine. Nous sommes alors en Octobre.
Sitôt fait, il appliqua avec bonheur le plan que Smirat et Terebrin lui avaient longuement et minutieusement exposé.

I- Saisir le prétexte d'une domination injustifiée pour déclarer l'indépendance de la Kaulomachie, une terre nordique dépeuplée et sans intérêt.
II- Saisir le prétexte de l'arriération des habitants (aucun habitant en fait) pour s'en déclarer Président.
III- Saisir le Trésor Impérial et le placer dans la fiscalité libre du nouveau pays.
IV- Acheter les généraux d'état-major - ce qui n'est pas excessivement impossible quand on a passé sa vie à les diriger - pour garder leur sympathie et en attirer quelques-uns auprès de soi.
V- Rassembler les mercenaires (qui abondent dans le Nord) pour dissuader les représailles.

La République de Librame-et-Kaulomachie venait de naître, et cette première indépendance allait en entraîner une cascade.

Une question subsistait: qu'est-ce qui motivait Smirat et Terebrin? Nul ne le saura jamais de façon sûre. Il demeure certain que l'un comme l'autre adoraient semer la discorde, ce que chacun fit tout au long de sa vie dans des proportions toujours plus gargantuesques. Ils auraient imaginé leur chef-d'œuvre au moment de leur rencontre, et prétendirent ainsi au titre de plus grands conspirateurs de tous les temps. Mal leur en prit, car Varaszek les laissa se faire prendre par les autorités loyalistes, qui exécutèrent le premier et condamnèrent le second à l'exil dans le Nord, où il périt quelques mois après.

[Fin de l'encart. Croyez bien que j'ai essayé de faire compact, et dites-vous que ça aurait pu être pire.]


Depuis que le traître a accompli ses ambitions, ils sont des dizaines de notables à exprimer, plus ou moins ouvertement, leurs velléités d'indépendance. Je me trouve modestement parmi eux. Plusieurs s'en vont avec des parcelles entières d'empire, profitant de vieilles querelles régionales et d'anciennes traditions politiques. Ce ne serait vraiment pas de chance de rester où j'en suis avec tous ces gens qui triomphent...
Je m'avance donc vers mon père, résolu comme jamais et tremblant un peu de mon audace. Je m'apprête à faire ma demande.

Mais il parle, alors comme toujours je me tais.
"Mon fils, cet endroit n'est plus assez sûr à mon goût. Vous allez partir en voyage... Comment, combien de temps? Cessez de m'interrompre. Je vous demande la plus grande discrétion, aussi partez seul. Oui, seul. Et non, ce n'est pas imprudent. Ce ne pourrait être plus sûr. Et je ne veux pas d'un nouvel assassinat, ma réputation en pâtirait.
Je vous demande d'en profiter un peu comme il vous plaira, mais avant tout, revenez-moi aguerri. Pas trop tôt tout de même, la situation me tient bien trop occupé. Et pour conclure, il n'y a pas de sot métier. C'est très bien, monarque; soyez-en fier.

Ah, et j'oubliais: mariez-vous."

Mais, répondis-je, ne suis-je pas promis à la princesse Stipule de Dalachie?

"Mariez-vous, j'ai dit."


Je suis parti sans comprendre, saisissant les habits de ma nouvelle banalité - qu'on m'avait tenu prêts dans ma garde-robe.
Et je finis sur les routes, où tout est grisant. Mais c'est un bien grand mot, j'ai juste pris le train.

Arrivé au port, je comptais user de mes crédits pour affréter une goélette. La Ventouse était un fort beau navire, mais à l'équipage rugueux. Les marchands et convoyeurs ne voulaient pas se laisser acheter.
Qu'importe: je payai mon embarquement, m'affublant du titre pompeux de consultant scientifique. Embarqué. Je ne traînerai pas plus.


Mes amis, je me permets de conclure cette introduction par un de nos vieux adages.
Vogue la Vie, Vogue la Ventouse



Diamétralement vôtre,
 
Xavier Plorc
 
Portrait du Prince, qui s'est avéré être un autoportrait accidentel (déjà connu comme tel sur un certain forum).


2 commentaires:

  1. Waouh... Toute une Histoire dans ton histoire !
    Tout l'univers est établi dans cette introduction ! On est vite plongé dans ce climat glacial de déséquilibre politique. Pour l'instant, je n'ai pas encore eu l'impression de ressentir l'idiotie présumé du héros, certes un peu hautain et à l'estime de soi très haute mais qui suscite une certaine sympathie. J'ai hâte de voir comment l'aventure va évoluer, et j'espère que le récit sera parsemé de ces parenthèses historique, c'est vraiment très prenant malgré cette complexité géographique qui t'es bien propre. Ce qui me laisse toutefois un peu perplexe est que l'empereur n'ait pas plus réagi que ça face à l'émergence du nouveau pouvoir. Est-ce par manque d'influence, de pouvoir, de notoriété ou par négligence, désintéressement ou simplicité du souverain ?

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  2. Notre Xavier est contemplatif voire un peu passif, alors il passera la plupart du récit, non à vivre des aventures comme il le prétend, mais à visiter certaines choses étranges de par le monde - soit beaucoup de parenthèses historiques que cette fois il développera lui-même, du mieux qu'il peut. Et il fera aussi œuvre de biologiste -d'où son titre ronflant de "phylogéniste" que, il me semble, il s'est attribué lui-même- chaque fois qu'il croisera une peuplade particulière, ce qui devrait arriver dès la première étape.

    Quant au comportement de l'empereur... J'y avais longuement réfléchi mais j'ai eu du mal à mettre de l'ordre dans mes notes. Il faut déjà noter qu'il est assez stupide. Il aurait aussi échangé le silence de ses canons contre le retour d'une part du trésor à sa personne (ce qui est à dire vrai plutôt à son crédit). Ce même si Varaszek disposait d'effectifs suffisants pour lui faire face (peut-être craignait-il malgré tout une défaite).


    Cette partie de l'Histoire était assez foisonnante, mais je suis ravi que tu aies pris le temps de la lire -et de la comprendre!
    ça m'encourage pour la suite. Je te dis merci.

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Des précisions à demander? Une idée tordue à descendre?
On n'hésite pas. Xavier est faible mais je le seconde.