samedi 6 juillet 2013

La légende de la Pomme Divine

Le voyage fut assez rapide. Les marchands se dirigeaient vers un de nos proches voisins, un pays insulaire que l'on nomme Karesbe. Notre ami et vis-à-vis est un royaume mercantiliste et peu porté sur la chose guerrière (car notons-le, il en est malheureusement qui s'y plongent régulièrement et avec délices, tels le Meln). Ce bien qu'on s'en souvienne comme l'un des principaux artisans de notre fabuleuse défaite de 1221, qui nous fit acquérir notre fameuse réputation de perdants. Le roi d'alors était en fait ambitieux et assez sanguinaire (les gens du cru l'ont surnommé Slavensk Ier le Conquérant, là où nous préférons l'appeler le Tripailleux). Ses successeurs surent mieux où trouver puissance et honneurs: ils préférèrent le capitalisme.

Quoiqu'on pense des fabuleux produits et de la qualité du matériel Krasbe, les gens de chez nous ont pourtant un dégoût sans bornes pour ceux qui les fabriquent et les conçoivent. Oui le peuple des Krasbes est réellement étrange et répugnant, aussi peu de gens veulent connaître leur origine et leur histoire. Il fallut que je me rende moi-même sur place pour m'en informer: les étranges animaux connaissent tous ces mythes, car c'est leur dogme avéré.
Je tiens ce que je rapporte ici d'un capitaine de cargo avec lequel j'ai pu converser autour de breuvages populaires, dans le port de Primorne où les marchands faisaient escale. J'en ai exécuté, vite-fait mal-fait, un petit portrait. Vous noterez que le but est avant tout de mieux vous faire saisir à quel point l'apparence de ces choses est curieuse.

Bref, voici ce que j'ai pu apprendre de sa bouche et de sa voix fluidement grinçante.


Il y a de ça un peu plus de 2000 ans, vivait un pauvre enfant du peuple Zerbol qui mourait de faim avec ses parents dans sa masure minable du bord de mer. Le pauvre n'avait aucun avenir, ne trouverait jamais personne pour le seconder: si fondamentalement humain qu'il fût, il ressemblait aux monstres des contes. Sa tête, odieusement déformée, lui valut par la suite le sobriquet de Tête-de-Pomme, ou, suivant l'appellation Zerbol, Apfelkopf. Il n'avait pour lui que l'amour de ses parents. 

Ces gens oubliés de l'administration ne se nourrissaient, les malheureux, que de petits pâtés de méduse aux algues, vaguement agrémentés de farine d'escourgeon quand les temps n'étaient pas trop durs. La méduse de Médine pullulait en effet en ces temps, au détriment des grands poissons qui font notre joie aujourd'hui.

Le conteur avale une lampée de bière.

Mais il y eut un jour parmi la récolte infâme une nouvelle venue hautement toxique, qui avait échappé à la molle surveillance des pêcheurs: Luciférine, perfide des perfides, glissée dans leurs assiettes à seule fin d'empoisonner toute la famille.
Les parents moururent donc, l'estomac convulsé de mille invisibles piqûres. Mais non l'infant, qui resta seul, pleurant, et ruminant bientôt sa démente vengeance contre le peuple Méduse qui l'avait fait orphelin.

Le conteur avale deux lampées de bière.

Apfelkopf dans ses vieux jours.
Laquelle vengeance ne tarda pas à illuminer l'esprit du monstre malheureux. Le jeune garçon mit la main sur une résine étrange et toxique, fournie sans doute par son marabout, et, se saisissant d'un clystère acéré -Sainte Relique conservée au Grand Temple, d'ailleurs- l'injecta rageusement, des larmes perlant encore sur ses joues, dans les cavités des malheureuses méduses. Et par un Divin Miracle, nous étions nés.

Le conteur finit sa pinte et l'avale pour en tirer toute l'essence.


Ce récit à caractère religieux, parsemé de magie, me fut confirmé par toute la taverne. J'ai eu quelques doutes avant de songer que nous faisions mieux.
Tête-de-Pomme fut le premier roi mythique des Krasbes, ces méduses résineuses et terrestres qu'il avait créé par sa folie. Il traversa, dit-on, plus de neuf siècles -avant de mystérieusement disparaître sous la forme d'une flaque noire et visqueuse, sans doute une forme d'apothéose.
Le plus surprenant dans les légendes l'entourant reste cependant la voie par laquelle il donna la vie à ses choses. Bien des gens ont tenté de savoir ce qui s'est réellement passé pour que des méduses en viennent à fouler la terre, construire des basiliques ou composer des poèmes, mais la documentation sur cette époque troublée où elles sont censées avoir vu le jour manque cruellement.

Il n'est nul besoin de s'y connaître ni même d'ouvrir la bête pour se rendre compte qu'elle est plus qu'une méduse pleine de résine. Nous avons encore deux jours d'escale à Primorne, je vais tenter de me renseigner à ce sujet. Cela me semble un bon sujet d'étude.

Scolairement vôtre,
Xavier Plorc

1 commentaire:

  1. Haha, belle performance de parodie mythologique ! Le roi Apfelkopf (tiens de l'Allemand...) qui se termine en compote putréfié, belle apothéose en effet... Quel curieux peuple tout de même, une civilisation au savoir faire développé et aux croyances tellement fantaisistes, et bien sûr, aucun document d'époque pour justifier cette croyance populaire. Étrange étrange, y aurait-il là une histoire de complot de puissants manipulateurs qui tirent les ficelles de la populace ?

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Des précisions à demander? Une idée tordue à descendre?
On n'hésite pas. Xavier est faible mais je le seconde.