Cnidaires Savants

Notre escale au Karesbe ne s'éternisera pas plus, fort heureusement j'ai pu me rendre brièvement dans une bibliothèque de quartier -initiative louable qui manque par chez nous- dont la collection scientifique, quoiqu'assez pauvre, a pu m'en apprendre un peu plus au sujet de la biologie des Krasbes. Là où d'ailleurs il m'est confirmé leur complexité épouvantable, ce qui ne fait qu'ajouter au mystère entourant l'acte originel du divin Apfelkopf.

C'est assez technique mais j'ai essayé de résumer au mieux sur un seul schéma. La coupe est sagittale.



1- Cuticule cireuse, souple et coriace. Tout en limitant les pertes d'eau, elle permet une respiration cutanée (les gaz diffusent à travers). C'est aussi une protection efficace contre les chocs. Notez aussi que cette enveloppe, comme nos squelettes, peut survivre longtemps à son propriétaire et probablement se fossiliser.

 

2- Six glandes cérébroïdes, différenciées semble-t'il à partir de l'ectoderme (cf 3). Leur fonctionnement reste très mystérieux. Deux d'entre elles, les glandes ophtalmiques, sont différenciées en plaques photosensibles que les ignorants appellent les "yeux".

 

3- Feuillet externe ou ectoderme, générateur de nombreuses structures (matérialisées en rouge).

 

4- Bouche-anus. Des replis de la cuticule font office de "lèvres". En raison de la puissance du système digestif, la seconde fonction est peu employée - au pire l'individu recrache des ossements ou des pelotes, s'il a ingéré des substances indigestes (ce qui n'a certes jamais lieu dans une cuisine bien tenue).

 

5- Fibres vocales enchâssées dans une caisse de résonnance rigide issue du pseudomésenchyme (cf 14).

 

6- Deux glandes salivaires différenciées à partir de l'endoderme (matérialisé en vert).

 

7- Néphridioïde et vessie (système urinaire), dissimulées dans le col.

 

8- Gonadoïde (système reproducteur). Si les aristocrates parviennent, à force de volonté, à se reproduire par simple bourgeonnement -ce qui présente l'intérêt d'avoir un clone pour descendance et d'ainsi conserver la pureté de la lignée- cet organe permet toutefois de produire des cellules reproductrices, mâles ou femelles suivant le sexe, que le couple doit se faire rencontrer artificiellement dans une couveuse appropriée, laquelle prend la forme d'un aquarium chauffé, enrichi en substances nutritives (épluchures, restes de repas...) et laissé à l'ombre. Les enfants émergent de l'eau après une dizaine de mois de développement, spectacle très émouvant pour qui s'y connaît.

C'est là qu'on reconnaît les espèces artificielles et mal foutues: elles ne peuvent formellement pas se passer de certaines technologies.

 

9- Six caeca digestifs, très ramifiés, disposés radialement. Une phase surnageant dans le jus gastrique, isolée, a révélé la propriété de dissoudre les gaz de l'air, et notamment le dioxygène, d'une manière très facilitée. De la sorte, une respiration intestinale est supposée s'ajouter à la respiration cutanée.

 

10- Douze glandes digestives, d'une puissance formidable. Le Krasbe assimile pratiquement tout ce qu'il ingère; les rares parties indigestes sont proprement recrachées et les déchets métaboliques sont éliminés par la néphridioïde (cf 7). Par temps de famine, des voyageurs ont rapporté avoir vu certains individus se nourrir de bois -on n'est pas obligé de les croire.

 

11- Seize à dix-huit podies, fortement cutinisées, qui permettent un déplacement relativement rapide.

 

12- Canal cérébroïde ménagé dans le pseudomésenchyme (cf 14). Une piste pour l'étude du "système nerveux".

 

13- Canal alimentaire ménagé dans le pseudomésenchyme (cf 14), servant vraisemblablement au transport des nutriments issus des caeca.

 

14- Pseudomésenchyme: c'est une tunique de matière souple (collagène et résine tissés de fibres de chitine), imprégnée d'un liquide amorphe, dans laquelle plusieurs structures sont ménagées. De plus, des vésicules vibratiles situées sur l'ectoderme sont supposées organiser la circulation des fluides au sein de cette tunique, ce qui donne naissance aux mouvements de la chose.

De tous les ouvrages que je pus consulter ultérieurement, je retins un fait proéminent: les peuples divers incluent autant que possible la qualité guerrière à l'étude ethnobiologique. Il ne s'agit même pas de prolonger la description de la force physique, c'est presque une discipline à part entière -dont un représentant fameux de la dynastie des Teiksje, grande famille de scientifiques des Cocardes (dont un représentant actuel enseigne aux cours du monde entier), a contribué à l'importance par la mise en place de termes standards.
Ainsi, les Krasbes appartiennent au genre Médiocre-déterminé; là où les grands Hommes - Ohm-cochon et Ohm-singe - représentent le genre Sommet. Nous avons toute la taille, la souplesse et la force des guerriers des légendes anticques, ainsi que les plus beaux uniformes (que les petits et les mous recopient du mieux qu'ils peuvent). Sans doute, Teiksje et les Hommes mesuraient mal leur orgueil, mais n'est-ce pas là leur unique tare?

Les cales sont pleines et j'entends venir le départ. On me rappelle, mollement, à vivre la suite du voyage. Je laisse donc ici les méduses, à peine aperçues. Je souhaiterais m'y arrêter plus à l'avenir.

Obscurément vôtre,

Xavier Plorc